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Stalagmites Arcy-stm1 (h=4cm) et Arcy-stm2 (h=7cm) - Grotte d’Arcy-sur-Cure (Yonne),  Fontaine Sainte Marguerite

          La première petite stalagmite (Arcy-stm1) toute blanche possède des lamines de croissance très nettes. Une paire de lamines claire/sombre représente le dépôt de calcite d’une année, ce qui permet de calculer son âge en dénombrant les couches comme on peut le faire sur un  arbre (46 ans ici par rapport à la date de son échantillonnage en 2010). On remarque les lamines beaucoup plus fines au sommet de l’échantillon qui témoignent d’un ralentissement de la croissance très probablement lié à un changement dans l’alimentation en eau de la stalagmite lié à la modification de la végétation en surface.

          La partie sommitale de la seconde stalagmite (Arcy-stm2) est contemporaine de sa voisine Arcy-stm1 comme en témoigne la forte ressemblance des couches de croissance. On remonte cependant plus loin dans le temps (en partant du sommet vers le bas), pour atteindre une couche noire épaisse qui coïncide avec la dernière guerre mondiale 1939-1945 ou à la période juste antérieure. Ce sont les feux allumés dans la cavité lors d’aménagements qui ont laissé ici leur trace ici sous la forme de cendres et de suies piégées dans la calcite. Les lamines situées sous cette épaisse couche noire, irrégulières, chaotiques, parfois brisées, montrent une histoire perturbée par l’action humaine au cours de derniers siècles. De façon plus surprenante, la mesure de l’activité du carbone 14 (ou radiocarbone) dans les couches de la stalagmite Arcy-stm2 avec l’accélérateur ARTEMIS (Saclay) a permis de détecter l’impact des essais nucléaires atmosphériques (fig. 1). En effet, les essais nucléaires atmosphériques autorisés jusqu’en 1963 ont quasiment fait doubler la teneur en radiocarbone (14C) dans l’atmosphère (Genty , 2022). Le  maximum d’activité observé en 1963 est suivi par une lente décroissance de la teneur en 14C dans l’atmosphère. Or, cet excès d’atomes de carbone radioactif dans l’atmosphère a été absorbé par les êtres vivants et les plantes sous forme de CO2. Ce dernier, dissout dans l’eau lors de l’infiltration de la pluie dans le karst a été intégré dans la calcite des stalagmites (CaCO3). Mais le transfert entre l’atmosphère et la calcite des spéléothèmes n’a pas été immédiat, et on observe un délai d’environ 10 ans entre le pic de l’activité 14C dans l’atmosphère (1963) et celui détecté dans la stalagmite (1973). Le temps de la dégradation de la matière organique dans le sol et dans l’épikarst ainsi que le temps moyen de transfert de l’eau expliquent ce décalage. Ce type d’étude, reproduit dans diverses grottes (voir un des échantillons de la grotte de Cussac), permet d’utiliser le radiocarbone comme un traceur du carbone entre l’atmosphère et la calcite des spéléothèmes. Il a permis de définir un paramètre important dans la compréhension des isotopes du carbone des spéléothèmes et dans celle de la formation de ceux-ci : la dcp (« dead carbon proportion » ou proportion de carbone mort). Celle-ci  exprime la proportion de carbone issue du CO2 biogénique du sol au-dessus de la grotte (85 à 90 % pour la plupart des stalagmites de l’ouest européen) et du carbone issu de la dissolution du calcaire encaissant (10 à 15% seulement) et ainsi de mieux interpréter les isotopes mesurés dans les stalagmites : l’essentiel du carbone (env. 90%) de la calcite des spéléothèmes provient donc du CO2 du sol, CO2 lié à l’activité végétale et celle des micro-organismes dans le sol, et seulement environ 10% provient du calcaire encaissant, ce qui peut paraître surprenant (Genty et al., 1997, 1998, 1999, 2001).

Figure 1 - Stalagmite Arcy-stm2 avec indication des années de croissance. A droite l’activité du radiocarbone mesuré dans les couches successives de la stalagmite montre que cette stalagmite a enregistré les essais nucléaires atmosphériques. Les couches noires, antérieures à 1946, sont dues à la présence de feu dans la grotte, probablement lié à la dernière guerre mondiale. La vitesse moyenne de croissance de la partie blanche supérieure entre le sommet et la première couche noire est de 0,4 mm/an (Genty, 2022).

 

Références bibliographiques :

 

Baffier D., Girard M., 1998, Les cavernes d’Arcy-sur-Cure, Maison des Roches, 120 p.

Genty D., 1993, Mise en évidence d'alternances saisonnières dans la structure interne des stalagmites. Intérêt pour la reconstitution des paléoenvironnements continentaux, C. R. Acad. Sci. Paris, t.317, série 2, pp. 1229-1236.

Genty D. and Massault M., 1997, Bomb 14C recorded in laminated speleothems - part 1: dead carbon proportion calculation,Radiocarbon, Vol. 39, n°1, pp. 33-48.

Genty D., Vokal B., Obelic B. and Massault M, 1998, Bomb 14C Time History Recorded in two modern stalagmites - Importance for soil organic matter dynamics and bomb 14C distribution over continents, Earth and Planetary Science Letters, Vol. 160, pp. 795-809.

Genty, D., et al. (1999), Calculation of past dead carbon proportion and variability by the comparison of AMS 14C and TIMS U/Th ages on two Holocene stalagmites, Radiocarbon, 41, 251-270.

Genty D. , Baker A., Massault M., Proctor Ch., Gilmour M., Pons-Branchu E. and Hamelin B.,2001, “Dead carbon in stalagmites : limestone paleodissolution versus ageing of Soil Organic Matter - Implications for 13c variations in stalagmites “, Geochimica et Cosmochimica Acta, 65 : 3443-3457.

Genty D., 2022, « SPEOLEOTHEMES archives du climat”, Editions Hartpon, Paris, 202 p.

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