SPELEOTHEMES ET PALEOCLIMATS
Stalagmite Vil-stm1 - Grotte de Villars (Dordogne), Trou qui Fume (h = 110cm)
Haute de 110 cm pour un diamètre de 7 à 4 cm, Vil-stm1 est une stalagmite cierge typique trouvée dans la grotte de Villars en Dordogne. Elle est constituée de calcite pure (incolore) où les alternances de croissance annuelles sont parfois extrêmement bien visibles, comme à la base où la vitesse annuelle atteint 2mm/an (image de droite), et dans le dernier tiers de sa hauteur où le comptage des lamines annuelles a permis de définir une chronologie précise complémentaire des datations radiométriques. Grâce à de nombreuses analyses l’histoire environnementale locale a pu être reconstruite en lien avec des jalons historiques bien connus (fig. 1). Ainsi, les datations uranium-thorium, croisées avec les analyses 14C et avec le comptage des lamines de croissance, ont permis de construire une chronologie précise et de montrer qu’elle avait commencé à pousser il y a 3200 ans jusqu’à une date récente (années 1990). A partir du IXème siècle, et surtout pendant les Xème et XIème siècles, les courbes des isotopes s’infléchissent fortement (augmentation conjointe du d18O et du d13C de la calcite), très certainement à cause d’une déforestation : le retrait d’arbres et de plantes au-dessus de la grotte a une forte influence sur les valeurs isotopiques (Genty, 2022). Confirmant cette hypothèse, de fines particules de charbon de bois, piégées dans le réseau cristallin de la calcite, ont été observées au microscope dans deux couches noires bien visibles sur la section polie (fig. 2). Or ces couches de calcite ont été précisément datées et coïncident avec les premiers grands défrichements du Moyen Age, vers les Xème et XIème siècles. De plus, l’amplitude observée dans ces changements de composition isotopique est bien trop grande pour être d’origine naturelle à cette époque (elle est comparable aux changements vus lors des grandes transitions climatiques glaciaire-interglaciaire). Lorsque l’eau de pluie s’infiltre, le karst sert en quelques sortes de filtre (ensemble de microfissures et de réservoirs plus ou moins interconnectés). Les plus fines particules de charbon sont passées à travers ce filtre, mais avec elles, d’autres fragments issus du monde animal et végétal : grains de pollen et dans Vil-stm1, pate de mouches et poils (fig. 3). Enfin, sur la partie la plus récente, les variations isotopiques observées pourraient être mises en relation avec la disparition de la vigne à la fin du XIXème siècle dans le sud de la France à cause du Phylloxéra, insecte ravageur venu des Etats-Unis et qui détruit les ceps de vigne en quelques années. Peut-être plus spectaculaire, le volcan Rinjani, situé sur l’île de Sumatra en Indonésie, a connu une explosion cataclysmique en 1257. Les cendres volcaniques de cette éruption gigantesque ont été retrouvées dans les glaces du Groenland et ont provoqué un refroidissement global de plusieurs années. Sur la stalagmite Vil-stm1, les valeurs isotopiques les plus extrêmes coïncident parfaitement avec cet événement et pourraient bien en être la conséquence (refroidissement, baisse de l’activité végétale et augmentation du d18O et du d13C).
Plus récemment, ce sont des analyses d’un nouveau type qui ont été effectuées sur cette stalagmite. En effet, les spéléothèmes contiennent souvent une très faible quantité d’eau (quelques nano grammes par gramme de calcite). Or cette eau est de l’eau d’infiltration qui a été « fossilisée », emprisonnée dans la calcite sous la forme d’inclusions fluides. Puisqu’il existe une forte similitude entre la composition isotopique de l’eau d’infiltration et celle de l’eau de pluie, faire des mesures sur ces inclusions fluides apporte des informations inédites sur les pluies passées. La méthode utilisée est très délicate car il faut pouvoir extraire une infime quantité d’eau d’un petit cube de calcite prélevé sur la stalagmite (Dassié et al., 2018; Labuhn et al., 2015). Vil-stm1 est l’une des rares stalagmites dans le monde où il a été possible de reconstituer l’évolution de la teneur isotopique de l’eau des inclusions fluides (et donc de la pluie) au cours du temps (fig. 4). Les résultats montrent, de façon surprenante, une forte variation dans la composition isotopique de l’eau des inclusions fluides au cour des deux derniers millénaires, suggérant que la circulation atmosphérique a changé de même que la source des précipitations arrivant au-dessus de la grotte de Villars.
Figure 1 – Courbe de croissance (en bleu) et profils isotopiques de la stalagmite Vil-stm1, grotte de Villars (Dordogne) (D. Genty inédit et Labuhn et al., 2015).
Figure 2 – Particule de charbon de bois piégée dans la calcite de la stalagmite Vil-stm1 vue au microscope électronique. Cette particule, avec d’autres, sont les témoins des feux liés à la déforestation au-dessus de la grotte de Villars pendant le Moyen Age (largeur de la particule = env. 20 micromètres).
Figure 3 – Fragment de pate de mouche extrait de la stalagmite Vil-stm1 et datant d’environ 1000 ans (largeur du champ = 0.1mm)
Figure 4 – Composition isotopique de l’eau piégée dans la calcite de la stalagmite Vil-stm1 (courbe en bleu, IF : inclusions fluides). Comparaison avec la composition isotopique de la calcite (carbone : rouge ; oxygène : vert) (Labhun et al., 2015)
Références bibliographiques :
Dassié E., Genty D., Noret A., Mangenot X., Massault M., Lebas N., Duhamel M., Bonifacie M., Gasparrini M., Minster B., Michelot J.L., 2018, A newly designed analytical line to examine fluid inclusion isotopic compositions in a range of carbonate samples, Geochemistry, Geophysics, Geosystems, vol. 19, n° 4, pp. 1107-1122. https://doi.org/10.1002/2017GC007289
Genty D., 2008, Palaeoclimate Research in Villars Cave (Dordogne, SW-France), International Journal of Speleology, 37 (3) : 173-191 .
Genty D., 2022, « SPELEOTHEMES archives du climat », éditions Hartpon, Paris, 202 p.
Labuhn I., Genty D., Vonhof H., Bourdin C., Blamart D., Douville E., Ruan J., Cheng H., Edwards R.L., Pons-Branchu E., Pierre M. , 2015, A high-resolution fluid inclusion delta O-80 record from a stalagmite in SW France: modern calibration and comparison with multiple proxies, Quaternary Science Review, 110: 152-165.